Dans cet épisode, nous traitons d'un sujet des plus stressant pour certains adultes : comment échanger avec des enfants en ce qui concerne internet et comment mieux les préparer à ce qu'ils vont y trouver !
Écouter l'épisodeGuillaume : Bonjour à tous et à toutes, bienvenue dans ce nouvel épisode de Micro-ondes Cérébral, l'émission qui réchauffe vos méninges. Moi c'est Guillaume et je suis avec Mélissa. Salut !
Mélissa : Salut !
Guillaume : Alors aujourd'hui, dans cet épisode, on va traiter probablement le sujet le plus pressant et stressant pour certains adultes : comment échanger avec des enfants en ce qui concerne internet.
Je crois que tu me disais justement l'autre jour que c'était le sujet qui amenait le plus de questions lorsque les gens apprenaient que tu avais une expertise en cyberpsychologie, c'est ça non ?
Mélissa : Oui, c'est ça Guillaume. C'est probablement le thème qui amène les adultes et surtout les parents que je croise parfois à carrément me sauter dessus !
Accompagner les enfants sur les usages d’internet, c’est probablement la chose sur laquelle on me demande le plus de conseils !
Parce que je perçois chez eux, comme une forme de détresse, carrément une angoisse. Alors on va essayer de rassurer tout le monde, et puis aussi de vous donner quelques clés.
Guillaume : Oui, effectivement, on sent dans la société une petite panique à ce sujet. Et c'est vrai que les politiques ou les médias n'aident pas vraiment quand ils s'emparent parfois de faits divers, effrayants et malheureusement populaires si je puis dire, sur des jeunes en “roue libre” sur internet.
Mélissa : Oui, c'est ça, on a une petite panique morale quand même. Et on l'évoquait au tout début de ce podcast, mais on va passer 27 ans de notre vie sur Internet. Malheureusement, aujourd'hui, on n'est pas encore assez préparé ni éduqué pour mieux maîtriser ces usages.
C’est vrai que beaucoup d'adultes, et notamment de parents, se trouvent démunis lorsque leurs enfants commencent à avoir une vie connectée. Il y a une petite panique morale autour de ce sujet.
Et on a une inquiétude qui émerge, notamment quand des parents se rendent compte d'une présence de leur enfant sur les réseaux sociaux ou dans les jeux vidéo qui leur échappe complètement.
Guillaume : Alors effectivement, et ça s'explique aussi peut-être par une sorte de contradiction apparente qui voudrait que les plus jeunes soient très à l'aise dans l'usage de diverses applications populaires sur des ordinateurs ou des smartphones, mais qu'en même temps ce soit une population qui est assez vulnérable face à Internet et à ses abus.
Comment peut-on expliquer aux adultes qui nous écoutent un tel décalage ?
Mélissa : Alors effectivement, Guillaume, tu le notes à travers cet exemple, il est très différent de maîtriser une interface, c'est-à-dire être à l'aise pour naviguer dans une app, et comprendre les informations qui sont devant nous, ce qu'elles signifient, comment on leur donne crédit, du crédit en fonction de divers critères plus objectifs.
Savoir utiliser une interface web ou une app ne veut pas dire avoir du recul sur son usage. C’est le paradoxe quand on pense aux nouvelles générations.
Les interfaces des applications sont effectivement de plus en plus intuitives, mais cela ne veut pas dire que l'on a tous les éléments à disposition pour garder un regard critique.
Par exemple, il est parfois surprenant d'apprendre que dans une étude qui date de 2018, on trouve plus de jeunes adultes qui ont des doutes sur le fait que la terre soit ronde et qui se demandent donc si la terre est plate, que chez des adultes plus âgés.
Guillaume : D'accord, mais est ce qu'on peut vraiment dire que les jeunes sont plus vulnérables sur internet ? Après tout, ils ont grandi avec ça et ils maîtrisent mieux les apps que les plus âgés.
Comment peut-on expliquer vraiment cette contradiction ?
Mélissa : Cette contradiction-là vient justement du fait que pour éviter les pièges de raisonnement sur Internet, et d'être donc entre autres la victime trop systématique de biais cognitifs, il faut pouvoir développer sa pensée critique.
Et c'est cette pensée critique qui permet de mieux évaluer les informations dont on est bombardé. C'est grâce à elle que l'on va pouvoir non seulement faire le tri de ces informations, mais aussi de pouvoir les analyser et leur donner le bon poids.
Le piège d’un usage d’internet trop précoce, c’est de ne pas avoir eu le temps de construire une pensée critique suffisante.
Et ce qui rend les jeunes plus vulnérables, entre guillemets, c'est qu'ils deviennent de vrais internautes, mais avant d'avoir pu développer suffisamment leur pensée critique, leur sens critique.
Guillaume : Biais cognitifs, pensée critique, je sens qu'on va rentrer dans le vif du sujet et que tu vas nous parler du cerveau, là, c'est ça ?
Mélissa : Tu commences à bien le connaître !. Mais oui, la pensée critique est centrée autour du néocortex, cette partie superficielle du cerveau…
Guillaume : La partie avec tous les plis, là, c'est ça ?
Mélissa : Voilà, c'est ça ! C'est cette partie que l'on voit très bien à l'extérieur du cerveau et qui est la partie du cerveau la plus développée du règne animal. Donc le néocortex, lui, va sous-tendre le fonctionnement de processus cognitifs de très haut niveau.
Donc c'est vraiment une partie du cerveau qui est ultra puissante et qui ne devient mature qu'après l'adolescence.
Biologiquement parlant, le néocortex ne devient mature qu’après l’adolescence, un enfant n’est donc pas encore armé à certaines réflexions.
Donc, biologiquement parlant, matériellement parlant, un plus jeune enfant n'a pas encore les meilleures dispositions biologiques qu'il aura plus tard dans la vie pour bénéficier de ces meilleures capacités cognitives et notamment de la pensée critique.
Guillaume : Ok, donc en gros, la partie du cerveau qui permet de mieux évaluer les informations n'est pas totalement prête quand la plupart des jeunes commencent à exister sur internet quelque part. Dans quelle mesure ça les rend vulnérables ?
On imagine bien que ce n'est pas tout à fait positif, mais dans quelle mesure cette pensée critique, du coup, elle aide à mieux maîtriser son usage Internet ?
Mélissa : En fait, la pensée critique est liée au “pas de côté” que l'on fait pour mieux évaluer les informations. Et avec tout ce qu'on peut trouver sur internet dans toutes les formes, si on ne fait pas de raisonnements avec un minimum de rigueur.
Sans pensée critique, on va se laisser aller à mettre toute information au même niveau, voire à adopter des comportements toxiques.
On va croire tout ce qui est dit de n'importe quel influenceur par exemple, sans se rappeler comment il gagne de l'argent et comment ça fonctionne derrière, sans se rappeler qu'il est probablement très crédible dans un domaine précis, mais pas nécessairement tous.
Sans regard critique, on va avoir plus tendance à se laisser amener à des comportements aussi toxiques que l'on ne choisirait pas dans la vraie vie.
Guillaume : Ok, là tu parles d'une forme de scepticisme finalement qu'il faut avoir, ne pas être trop naïf devant certains contenus.
Mais il y a aussi une vulnérabilité face à ce qu'on appelle le complotisme, comme par exemple, au choix, t'en a parlé tout à l'heure le platonisme, donc la croyance que la terre est plate.
Mélissa : En fait, c'est ça. La pensée critique se base sur une forme de scepticisme, mais cette fois ci d'un scepticisme que l'on dit scientifique, à la fois modéré et cartésien. C'est-à-dire qu'il privilégie la littérature scientifique, donc des sources fiables, avec la démonstration par des preuves, l'interprétation rationnelle des données.
La pensée critique se base sur une forme de scepticisme, mais cette fois ci d'un scepticisme que l'on dit scientifique, à la fois modéré et cartésien.
Plutôt que de se concentrer sur le fait de douter de tout et de faire des associations qui n'existent pas et d'y associer des ennemis qui nous veulent du mal, etc. Donc la pensée critique, oui, c'est un scepticisme, mais modéré qui va nous permettre de prendre du recul quand t'as des contacts qui postent sur internet et des contenus qui peuvent paraître très, très, très sulfureux.
Guillaume : Oui, effectivement. Et d'ailleurs on invite nos auditeurs et nos auditrices à réécouter nos épisodes sur les fake news et la comparaison sociale, où notamment dans ce dernier épisode, en rappelait l'importance de distinguer les postes qui brillent entre guillemets de ce qui peut être la vraie vie avec ses nuances et ses aspérités.
Mélissa : Exactement. Il faut pouvoir faire un pas de côté et analyser avant même que cela nous amène à réagir. Parfois même émotionnellement, on a des actions qui vont être en décalage trop fort avec la réalité.
Guillaume : Savoir faire preuve de pensée critique pour mieux évaluer les informations en ligne, faire en quelque sorte du fact checking de la vérification d'informations, c'est très clair , effectivement qu'il faut faire ça.
Mais du coup, déjà en tant qu'adulte, ça demande un peu de travail au quotidien dans notre relation à internet, aux réseaux de faire ce fact checking. Comment fait-on pour mieux développer ces compétences-là chez les plus jeunes ? Comment on fait pour les accompagner ?
Mélissa : En fait, pour développer sa pensée critique, on peut déjà encourager des discussions plus ouvertes. Encourager la participation de tous, peu importe l'âge, peu importe d'où l'on vient, mais en essayant de demander pourquoi.
Par exemple, si on discute d'un film, d'une vidéo, et bien peu importe ce que l'on peut penser en tant qu'adulte, c'est intéressant d'encourager les autres, et notamment les plus jeunes, à développer le pourquoi de leur opinion, quels sont leurs critères de jugement.
Et cela est aussi bien pour les former que pour mieux les connaître. Donc, ce sont des formes de conversations qui peuvent avoir lieu sur absolument tous les sujets.
Guillaume : Mais la réponse de beaucoup d'adultes, et évidemment de parents en particulier, ça va être d'avoir le réflexe de limiter le temps d'écran ou voire même carrément d'interdire certains médias pour garder le contrôle. Que penses-tu de ça toi ?
Mélissa : Tout d'abord, j'ai de l'empathie pour ses parents, mais je dois quand même aussi dire que l'interdiction radicale ne sera pas mon choix nécessairement, ou alors de manière très éphémère.
Tout d'abord, une interdiction ne permet pas à un individu, quel qu'il soit, jeune ou moins jeune, d'apprendre à maîtriser l'usage. Et c'est ça qui va être clé. Cela a été démontré déjà par la communauté scientifique : c'est à dire qu'une interdiction fait en sorte qu'on se prive de l'opportunité d'apprendre à maîtriser un usage.
J’ai de l’empathie pour les parents qui sont inquiets, mais il faut plutôt chercher à encadrer, accompagner et échanger avec les jeunes utilisateurs et utilisatrices d’internet plutôt que d’interdire son usage.
Et puis, par ailleurs, la raison pour laquelle le temps d'écran est trop réducteur, c'est qu'on peut faire beaucoup de choses sur Internet, donc ça ne veut absolument rien dire. En revanche, ce qui me semble important, c'est de savoir garder du recul.
Donc je crois qu'il est bien trop difficile de pouvoir encourager des conversations, des partages d'opinions, des critères d'opinion aussi, si l'usage devient une espèce de tabou dans un foyer ou dans un lieu où l'on a différentes générations et différentes identités qui vont se croiser.
Guillaume : Oui, effectivement, et c'est vrai que si en l'état le temps d'écran rendait idiot les grands patrons et patronnes de la Silicon Valley ou du jeu vidéo, ce seraient des abrutis. Et je crois qu'on peut tous d'accord pour dire que quoiqu'on pense d'eux, c'est objectivement pas le cas.
Comment peut-on trouver le juste milieu en accompagnant, mais sans laisser les plus jeunes se faire entre guillemets avoir ou bouffer par internet, les réseaux, les jeux ?
Mélissa : Ça va dépendre de chaque situation. Mais je crois en un accompagnement qui correspond à pouvoir passer du temps avec eux aussi sur internet et progressivement enrichir les conversations avec ces expériences sur internet. Pour ne pas laisser donc des plus jeunes en "roue libre", sur internet tout en les formant à la pensée critique.
Accompagner les enfants sur internet, les plus jeunes, pouvoir en discuter, comprendre les préférences qui évoluent, tout ça est aussi une belle opportunité de créer des liens avec eux.
Donc ça permet de pouvoir aborder des thèmes vus en ligne, et les ancrer dans une réalité où il est plus facile de traiter l'information. Et puis finalement, en accompagnant les enfants sur internet, les plus jeunes, pouvoir en discuter, comprendre les préférences qui évoluent, tout ça amène à une belle opportunité aussi.
C'est vraiment de créer encore plus de liens avec eux.
Guillaume : Donc si je résume un peu l'enjeu d'Internet et des plus jeunes, cela se centre beaucoup autour du concept de pensée critique. Finalement, le temps d'écran, bon, ça ne veut pas dire grand chose, mais c'est important d'encourager le développement de sa pensée critique au maximum, justement, pour aborder Internet sans trop tomber dans ses pièges.
Et pour ça, on fait preuve d'ouverture sur ses pratiques, et on encourage les plus jeunes, mais pas qu'eux. Ça ferait du bien aussi à plein d'adultes. On les encourage à développer leurs critères et leurs arguments.
Mélissa : Ben oui, c'est ça, car le cerveau, il est plastique, il s'adapte en fonction d'expériences, donc en formant à la pensée critique, on peut la renforcer de manière considérable. Et encore une fois, c'est quand même sympa de créer du lien avec des conversations qui sont bien ouvertes.
Guillaume : Merci Mélissa pour ce sujet qui est souvent un point de crispation quand on aborde les loisirs numériques. J'espère qu'on vous aura un peu permis de relativiser l'usage d'internet, et surtout que vous qui nous écoutez, on vous aura incité à apporter vos efforts dans la constitution, sur Internet comme ailleurs, d'une vision critique du monde qui nous entoure. Je pense qu'on en aura toutes et tous de plus en plus besoin dans les années à venir.
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Enfin, on sera plus que ravis de recevoir vos anecdotes justement de la manière dont vous avez accompagné ou vous avez eu peur d'accompagner justement vos enfants, vos neveux, les enfants qui vous entourent sur les usages d'internet. Est-ce qu'il y a eu des moments où ça a pu vous effrayer ? Ou au contraire est ce que pour vous c'est une formidable aubaine pour découvrir une infinité de nouveaux sujets avec cette nouvelle génération ? C'est totalement anonyme, évidemment, et c'est grâce au répondeur de l'émission que vous pouvez le faire, présent également dans la description du podcast.
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D'ici-là, merci beaucoup Mélissa et on se dit à très vite !
Mélissa : À très bientôt ! Merci Guillaume. Salut tout le monde !
