#10 Relations parasociales : L'amitié à sens unique ?

Poursuivons l'exploration de nos usages des réseaux sociaux ! Nous abordons cette fois la question des rapports que nous entretenons avec des personnalités publiques sur internet. C'est parti pour les relations parasociales !

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Transcription

Guillaume : Tous et à toutes ! Bienvenue dans ce nouvel épisode de Micro-Ondes Cérébrales, le podcast qui réchauffe vos méninges. Moi, c'est Guillaume et je suis avec Mélissa. Salut Mélissa!

Mélissa : Salut tout le monde!

Guillaume : Dans cet épisode, nous allons poursuivre l'exploration de nos usages des réseaux sociaux et aborder cette fois-ci la question des rapports que nous entretenons avec des personnalités publiques, que l'on suit généralement sur divers réseaux sociaux. Aujourd'hui, la majorité de ces "people", comme on les appelle, ont un compte sur les réseaux sociaux quand elles n'ont pas directement émergé de créations numériques à travers un profil YouTube, Instagram, TikTok, Twitch ou OnlyFans. 

Et dans cet épisode, on va essayer de comprendre comment nos relations avec ces comptes se sont énormément développées, mais aussi on va explorer ce que ça crée dans nos cerveaux de spectateurs/ utilisateurs. Ensuite, on vous donnera, comme d'habitude, un petit guide de compréhension de ces relations avec les célébrités sur les réseaux.

Qu'est ce que peuvent bien venir chercher des centaines de millions d'abonné(e)s chez des personnes qui leurs sont a priori inaccessibles ?

Mais déjà, si on regarde au niveau mondial, les personnalités les plus suivies, par exemple, sont entre autres des footballeurs comme Cristiano Ronaldo avec plus d'un demi milliard d'abonnés. Ensuite, il y a Lionel Messi, puis Kelly Jenner et The Rock, par exemple, si on prend vraiment le top du classement. Qu'est ce que peuvent bien venir chercher des centaines de millions d'abonné(e)s chez ces personnes qui nous sont a priori inaccessibles, Mélissa ?

Mélissa : On l'avait vu avec l'épisode sur les réseaux sociaux. Tout d'abord, les interactions sociales sont un véritable besoin fondamental pour le cerveau et donc pour les êtres humains. Ce qui est intéressant, c'est de voir que finalement, les relations avec les célébrités, elles ne sont pas réciproques. 

Les interactions sociales sont un véritable besoin fondamental pour le cerveau et donc pour les êtres humains.

C'est pour ça qu'on appelle ces relations des relations para-sociales, pour les distinguer des relations sociales typiques, où en fait les relations se font d'un côté comme de l'autre. Dans les relations parasociales, sur les réseaux sociaux, on a une célébrité qui peut poster, qui peut apparaître en live... Et nous, on peut liker, mettre un commentaire, participer à un chat, la soutenir potentiellement financièrement, mais socialement, a priori, ça ne va pas plus loin.

Guillaume : Oui, effectivement, j'imagine que tout à chacun et chacune, vous qui nous écoutez, on sait bien que les personnes publiques qu'on admire, elles nous sont relativement, complètement même, inaccessibles au quotidien. On ne les côtoie pas et il est assez peu probable que ça arrive. Est ce que, justement, ce n'est pas ce côté inaccessible qui leur permet de rassembler autant d'abonnés en ligne comme une possibilité pour nous de les avoir un peu plus présentes dans notre quotidien ?

Mélissa : Oui, en fait, sur les réseaux sociaux, les célébrités dévoilent des instants de vie, en direct, et postent de manière pseudo naturelle, presque comme nous. Ça donne l'illusion d'être dans une relation intime avec une personnalité, et ça provoque un renforcement de l'attraction envers une personnalité.

En psychologie, il faut comprendre que dévoiler une partie de soi est un facteur qui va renforcer la relation avec une personne. Quand une autre personne se dévoile à nous, on se sent beaucoup plus proche d'elle. C'est un phénomène qui est connu entre les personnes, on va dire comme toi et moi, mais c'est une technique qui est utilisée depuis très longtemps dans les médias traditionnels, bien avant les réseaux sociaux. 

En psychologie, dévoiler une partie de soi est un facteur qui va renforcer la relation avec l’autre.

Ça peut être le cas, par exemple, lorsqu'on attire des lecteurs avec des photos du quotidien plus intimes, les photos volées de paparazzis, c'est à dire issues de la vie privée de personnalités, que ce soit voulu ou non.

Guillaume : C'est vrai que niveau marketing, c'est un argument qu'on entend souvent pour vanter telle ou telle production. Par exemple, on parle d'un livre, d'un film ou d'un album plus « intimiste », ce qui voudrait dire qu'on va, via cette production, apprendre à mieux connaître l'artiste, ses préoccupations, voire un peu entrer dans son cercle proche en connaissant mieux qui il est.

Mélissa : Exactement. Le fait de dévoiler un contenu soi disant privé et intime permet de vraiment renforcer cette illusion d'une relation privée également avec une personnalité, de quelque chose vraiment très privilégié. Donc ça renforce l'attraction pour cette personnalité et l'envie de nourrir encore plus la relation en s'abonnant, en achetant un produit sponsorisé par la célébrité, etc. 

On peut avoir des utilisateurs qui se sentent très proches de célébrités. Ils ont l'impression d'avoir vraiment accès à des détails exclusifs de la vie privée sur les réseaux sociaux. Ils ont l'impression que les stars vivent comme eux aussi. 

Toutes les opportunités d'interactions instantanée des réseaux sociaux vont renforcer ce phénomène d’identification aux personnalités publiques.

Il y a ce sentiment aussi de rapprochement, de pouvoir s'identifier d'autant plus à une personnalité. Et donc là, avec toutes ces opportunités d'interactions live de manière instantanée et libre, on va pouvoir renforcer ce phénomène parce que les interactions se multiplient.

Guillaume : Et quand on est très passionné, très exclusif dans l'admiration qu'on porte à une personne publique jusqu'à avoir l'illusion, comme tu le dis, de réciprocité, est ce que ça peut avoir un impact sur des relations sociales plus classiques ?

Mélissa : Il est vrai que les relations parasociales peuvent, pour la plupart d'entre nous, venir comme en complément de nos relations sociales au sens classique du terme. C'est-à-dire qu'on a des relations sociales saines avec notre environnement et on a aussi des relations parasociales pour complémenter, au même titre qu'un divertissement classique.

Et puis, pour certains utilisateurs, il a été montré que des relations parasociales peuvent parfois carrément remplacer les relations sociales dites "classiques".

Guillaume : Je me fais un petit peu l'avocat du diable, mais l'idée aussi dans ce podcast, ce n'est pas de diaboliser les pratiques, les usages. Si les relations parasociales, elles viennent remplacer les relations sociales classiques, est ce que ça ne veut pas dire que ces relations parasociales sont plus abordables, plus faciles à nouer ? ...Voire, si je pousse un peu le bouchon, même plus gratifiantes ?

Le simple fait d’avoir une interaction avec une personnalité peut apporter une certaine forme de plaisir, voire même une validation de qui on est, de ses valeurs, de ses idées.

 J'ai un exemple comme ça qui me vient. Personnellement, j'ai eu l'occasion quelques fois d'avoir un échange très rapide avec une personnalité sur Twitch. C'est vrai que le simple fait d'entendre le message lu par cette personnalité, ça apporte une certaine forme de plaisir, voire même une validation de qui on est, de ses valeurs, de ses idées, ce qui est parfois difficile d'avoir dans son cercle amical ou familial si on se sent un petit peu en marge ou si tout simplement on n'a pas de supers amis autour de soi. 

D'ailleurs, les créateurs et créatrices jouent ce sentiment consciemment ou inconsciemment.

Mélissa : Oui, il est vrai que les relations parasociales peuvent être perçues comme plus faciles que des relations sociales classiques. Parce que finalement, le fait de ne pas avoir une réciprocité peut, même si ça peut représenter un désavantage pour la richesse de la relation au départ, ça peut aussi être plus simple à gérer pour un utilisateur qui n'a pas forcément envie de trop avoir à maintenir, de travailler à maintenir des relations personnelles. Parce qu'elles peuvent être finalement parfois plus coûteuses en énergie, en temps ou même en émotions à gérer.

La distance “géographique” des relations parasociales permet de ne pas être confronté à l'anxiété qu'on pourrait ressentir dans les relations sociales classiques.

Et puis ensuite, le fait d'avoir cette distance géographique sur Internet, ça permet aussi de ne pas trop être confronté à l'anxiété sociale qu'on pourrait ressentir dans les relations sociales classiques. L'utilisateur ne sera pas confronté à la célébrité pour devoir directement interagir avec.

Guillaume : Oui, effectivement. Et en admettant que ça soit quelque chose d'intéressant pour compenser ou même remplacer de vraies relations sociales, j'imagine qu'il y a quand même des risques à trop plonger dans ce type de relations. 

Il y a des anecdotes qui sont assez connues, presque des faits divers à ce niveau là, comme par exemple avec l'acteur bien connu Ryan Gosling, qui s'est fait harcelé il y a quelques années par une femme persuadée d'être son âme sœur par exemple.

Mélissa : Oui, effectivement, moi aussi je suis persuadée d'être son âme sœur, mais moi, je reste tranquille…

Guillaume : Oui, alors effectivement, je pense qu'il t'en remercie tous les jours, écoute. Il ne sait pas ce qu'il perd (rires).

Mais effectivement, il y avait aussi ce cas assez effrayant, pour le coup, avec l'actrice Jodie Foster, là aussi une actrice, dont un des fans était carrément prêt à assassiner le président Ronald Reagan pour elle dans les années 80. C'est carrément fou. Et ça, pour le coup, c'était bien avant les réseaux sociaux. 

Les relations parasociales, ce sont aussi des créatrices de contenu harcelées sur internet et des créateurs de contenu qui profitent de leur notoriété pour alimenter des échanges toxiques.

Des exemples comme ça, il y en a plein. Il y en a même de plus en plus, j'ai envie de dire, avec le succès de formats de réseaux plus intimistes, on en revient comme on le disait tout à l'heure, comme par exemple TikTok, Twitch ou OnlyFans, et ça crée de vrais débordements, de vraies pratiques toxiques aussi, avec d'un côté des créateurs, des vidéastes qui profitent de leur notoriété pour bénéficier d'une emprise psychologique sur leurs parfois très jeunes abonnés, et de l'autre, des vidéastes, principalement des femmes, mais pas que, qui subissent de vraies opérations de harcèlement ou de violences écrites, parce que certains ont le sentiment qu'on peut tout leur demander et qu'ils vivent très mal, du coup, le moindre refus. 

Quand on regarde les choses sous cet angle là, on peut se dire que pour le coup, les relations parasociales, ça peut représenter un gros risque, non ?

Mélissa : Oui, effectivement, dans des cas extrêmes, le fait d'avoir l'illusion d'une relation réciproque peut faire vraiment perdre le lien avec la réalité. Et là, on a des attentes qui sont plus du tout raisonnables vis à vis de la relation ou en tout cas de la personnalité. 

Donc, en l'occurrence, il n'y a pas grand chose à attendre d'une personnalité, à part le fait d'avoir accès à ce qu'elle partage et au même titre que tous les autres abonnés. Et puis, des études ont noté les comparaisons sociales, dont on a déjà parlé, qui deviennent particulièrement fortes dans ce type de relations. 

Nous ne devrions pas attendre autre chose d'une personnalité que le fait d'avoir accès à ce qu'elle partage, au même titre que tous les autres abonné·e·s.

Par exemple, l'image corporelle des adolescentes est une préoccupation d'autant plus nourrie avec les réseaux sociaux dans le cadre de relations parasociales, c'est à dire que le fait de vouer beaucoup d'attention, et parfois un culte à certaines personnalités, peuvent rendre ces adolescentes très attentives, et un petit peu propices au fait qu'elles vont se dévaloriser elles-mêmes au niveau de l'image corporelle par cette comparaison sociale. 

Ce sont des risques qui peuvent exister dans des cas extrêmes, mais il y a encore aussi des points positifs qui existent dans les relations parasociales.

Guillaume : Oui, j'espère effectivement. Personnellement, je sais que je suis certaines personnes que j'admire sur les réseaux sociaux parce qu'elles m'inspirent justement et que leur mode de vie ou leur façon de travailler, ça me donne des idées au quotidien. Mais bon, voilà, je n'attends pas forcément de ces personnes un retour, un échange constant ou une attention personnelle, on va dire quoi.

Mélissa : Oui, puisque encore une fois, les relations parasociales peuvent être positives pour nous et dans la majorité des cas, elles viennent juste complémenter de manière saine des relations sociales classiques. 

Donc elles peuvent nous aider à définir davantage notre identité, elles peuvent nous faire apprendre, nous inspirer, comme tu le mentionnais. Même pour les adolescents, cela peut amener aussi des comportements positifs en renforçant leur autonomie, pour aller chercher des références, par exemple adultes, quand ils veulent une distance avec les parents, par exemple.

Guillaume : Et j'ajouterais même que si ce qui se passe avec une personne publique est une relation parasociale, donc quelque chose qui est plutôt à sens unique, les échanges avec les membres de sa communauté, les communautés de ces personnalités publiques, elles peuvent devenir de vraies relations, relations même amicales. 

C'est même bien souvent l'enjeu aujourd'hui de communautés réunies autour de personnes influentes : bâtir ce qu'on appelle des « safe space » ou des endroits bienveillants en ligne où il est possible d'être soi même, sans les jugements de nos groupes sociaux plus classiques. Pour résumer, j'ai un peu envie de dire, n'ayez pas d'idole. Les relations parasociales, ça peut créer l'illusion d'une réciprocité, mais il faut garder à l'esprit que c'est au mieux un échange unilatéral, un contenu qu'une personne vous propose et dont c'est souvent son métier. Et au pire, une influence qui peut être néfaste si vous vous y noyez. 

C'est souvent l'enjeu de communautés réunies autour de personnes influentes : bâtir ce qu'on appelle des « safe space », des endroits bienveillants en ligne où il est possible d'être soi-même.

Mais gardons aussi à l'esprit, évidemment, comme on le disait, que ces relations ne sont pas forcément nuisibles et peuvent nous rassembler autour de thématiques inspirantes. Il faut juste ne pas avoir d'attentes déraisonnables et garder de quoi préserver des relations sociales plus typiques au quotidien avec des gens qu'on côtoie, entre guillemets, "dans la vraie vie".

Mélissa : Exactement. Les relations parasociales viennent enrichir nos relations sociales classiques dans la majorité des cas, pour apporter des informations, du divertissement, de l'inspiration. 

Il faut s'assurer que l'illusion de réciprocité ne soit pas trop forte pour renforcer l'insécurité de personnes qui peuvent être déjà touchées par l'anxiété sociale. 

Si cette illusion devient trop forte chez des personnes qui ont déjà des troubles, c'est pour ça qu'on parle de cas extrêmes qui ne sont pas la normalité, oui, cela peut amener des comportements déviants.

Guillaume : En effet, prenons soin de nous et des autres, y compris dans nos usages des réseaux sociaux qui n'ont pas fini de nous étonner dans leur impact sur nos cerveaux d'homo sapiens.

Guillaume : C'est la fin de cet épisode de Micro-Ondes Cérébrales. N'hésitez pas à continuer de liker, de commenter et de partager cet épisode au sein de vos réseaux. Voire si le cœur vous en dit de nous mettre cinq étoiles sur Apple Podcasts et Spotify avec un petit commentaire pour soutenir l'émission. 

C'est aujourd'hui clairement le partage et ce genre de petites notations, la manière la plus visible pour nous de nous soutenir. 

N'oubliez pas non plus que la transcription de cet épisode est disponible sur notre site internet. Le lien est en description.

Enfin, comme à chaque fois, on le répète, n'hésitez pas, nous serions plus que ravis de recevoir vos anecdotes de relations parasociales via notre répondeur. C'est totalement anonyme, évidemment, et c'est grâce à ce petit site très bien fait, également présent dans la description du podcast. C'est simple à utiliser, surtout avec un smartphone, donc n'hésitez pas, on sera vraiment très heureux en 2023 de recevoir vos anecdotes et de pouvoir rebondir dessus. 

D'ici là, merci beaucoup, Mélissa, et à très vite.

Mélissa : À bientôt !

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